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Mes bottes, pauvres fleurs

Élégie refusée aux jeux floraux


Mes bottes, pauvres fleurs, sur leurs tiges fanées,
Dans un coin, tristement, gisaient, abandonnées,
Veuves des soins du décrotteur.
Les jours étaient passés où mon âme ravie
Les voyait recouvrer leur éclat et leur vie
Sous le pinceau réparateur.

Et moi, je contemplais avec sollicitude
Le spectacle émouvant de leur décrépitude!
Puis, un de ces soupirs qu'on ne peut étouffer
S'échappa malgré moi de ma gorge oppressée,
Et mon cœur, encor plein de leur grandeur passée,
Se mit à les apostropher.

O bottes! leur disais-je, ô bottes infidèles,
Vous êtes, vous aussi, comme les hirondelles,
Des oiseaux légers, inconstants!
Vous aimez le ciel pur et les brises amies;
Aussi d'un vol léger, vous vous êtes enfuies
Quand est venu le mauvais temps.

 

 


Ainsi, durant les jours pluvieux de novembre,
Me voilà donc contraint de rester dans ma chambre,
Appelant, mais en vain, les beaux jours d'autrefois,
Car la dent des pavés en grosses cicatrices
A gravé sur vos fronts vos états de services,
Et vous n'entendez plus ma voix.

Le ciel, dont la bonté s'étend sur la nature,
Refuse ses bienfaits à la littérature.
Peut-être, hélas! l'hiver entier,
Traînant cette existence absurde et malheureuse,
J'attendrai vainement d'une âme généreuse
Un crédit chez quelque bottier.

Oh! si pareil bienfait vient à tomber des nues,
Je jure de marcher au travers de nos rues
Avec un légitime orgueil.
Et vous, dont je n'ai plus qu'une triste mémoire,
O mes bottes! rentrez au fond de cette armoire
Qui va vous servir de cercueil.