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Premier recueil - Livre I

VII
LA BESACE


cigale fourmi
 

Jupiter dit un jour : " Que tout ce qui respire
S'en vienne comparaître aux pieds de ma grandeur :
Si dans son composé quelqu'un trouve à redire,

            Il peut le déclarer sans peur ;
            Je mettrai remède à la chose.

Venez, Singe ; parlez le premier, et pour cause  :
Voyez ces animaux, faites comparaison

            De leurs beautés avec les vôtres.

Êtes-vous satisfait ? - Moi ? dit-il ; pourquoi non ?
N'ai-je pas quatre pieds aussi bien que les autres ?
Mon portrait jusqu'ici ne m'a rien reproché ;
Mais pour mon frère l'Ours, on ne l'a qu'ébauché  :
Jamais, s'il me veut croire, il ne se fera peindre. "
L'Ours venant là-dessus, on crut qu'il s'allait plaindre.
Tant s'en faut : de sa forme il se loua très fort ;
Glosa sur l' Éléphant, dit qu'on pourrait encor
Ajouter à sa queue, ôter à ses oreilles ;
Que c'était une masse informe et sans beauté.

            L' Éléphant étant écouté,

Tout sage qu'il était, dit des choses pareilles :

            Il jugea qu'à son appétit
            Dame Baleine était trop grosse.

Dame Fourmi trouva le Ciron trop petit,

            Se croyant, pour elle, un colosse.

Jupin les renvoya s'étant censurés tous,
Du reste , contents d'eux ; mais parmi les plus fous
Notre espèce excella ; car tout ce que nous sommes,
Lynx envers nos pareils, et taupes envers nous ,
Nous nous pardonnons tout, et rien aux autres hommes :
On se voit d'un autre œil qu'on ne voit son prochain.

            Le fabricateur souverain

Nous créa besaciers tous de même manière,
Tant ceux du temps passé que du temps d'aujourd'hui :
Il fit pour nos défauts la poche de derrière,
Et celle de devant pour les défauts d'autrui.